L'histoire peut paraître anecdotique, mais elle ne l'est pas. En Inde, l'absence de toilettes dans le foyer peut désormais constituer un motif de divorce. Un tribunal a tranché le vendredi 18 août en faveur d’une femme de l’État de Rajasthan, dans le nord-ouest du pays, qui avait demandé depuis des années à son mari de construire des toilettes à leur domicile, sans succès. Elle était donc obligée d'aller se soulager à l’extérieur, souvent à la tombée de la nuit afin d’éviter les regards indiscrets. Un acte que cette femme de 24 ans a jugé honteux. Deux ans après sa demande de divorce, le tribunal a conclu que l’incapacité de son mari de lui fournir des toilettes relevait de la cruauté. "On dépense de l’argent sur le tabac, l’alcool et les portables, mais nous sommes réticents à construire des toilettes pour protéger la dignité de notre famille, a noté le juge Rajendra Kumar Sharma. Dans les villages, les femmes doivent attendre que la nuit tombe pour satisfaire un besoin naturel. Il s’agit ici non seulement de la cruauté physique mais de violer la pudeur d’une femme." Devant le tribunal, le mari a avoué être surpris par la demande de sa femme, puisque la plupart des femmes de son village font leurs besoins en plein air. Aucune revendication de la part de la famille de la femme non plus au moment du mariage, a-t-il par ailleurs affirmé. Les Indiennes commencent pourtant à revendiquer le droit d’avoir des toilettes dans la maison. L’an dernier, une femme d’Uttar Pradesh a ainsi refusé de se marier avec un homme qui n’avait pas construit de toilettes chez lui. La décision du tribunal constitue une victoire importante car le divorce en Inde est accordé uniquement sous preuve de cruauté, violence ou de demandes financières injustifiées.
L’accès aux toilettes est un grand enjeu de santé publique en Inde, surtout dans les zones rurales. La moitié de sa population, soit plus de 600 millions de personnes, ne dispose pas de toilettes dans son foyer et se soulage à l’extérieur. Une pratique courante même chez les familles qui en ont les moyens. Les problèmes d’assainissement et de contamination de l’eau sont ainsi à l’origine de 80 % des maladies dans les zones rurales, et touchent notamment les jeunes enfants. Pour les femmes, le manque de toilettes pose également un problème de sécurité. Elles sont souvent obligées de faire de long trajets dans la nuit pour y accéder, si elles ne se soulagent pas dans les champs. En 2014, deux adolescentes ont été violées et ensuite pendues à un arbre dans l’État d’Uttar Pradesh, après être sorties de chez elles pour faire leurs besoins.
Le Premier ministre indien Narendra Modi, ayant fait de l’assainissement et de la propreté des piliers de son mandat, a promis de construire plus de 60 millions de toilettes d’ici 2019. Le gouvernement a affirmé l’an dernier en avoir construit un tiers. Difficile pourtant de changer les habitudes. Dans les villages, les habitants reprochent la proximité des nouvelles toilettes des maisons, ou encore le travail de nettoyage exigé. Nombre d’entre eux préfèrent toujours se soulager dehors, et certains transforment les toilettes en espace de stockage pour les céréales ou le bois.
Jenny Che – Marianne