Il y a tout juste vingt ans, au printemps 2001, la Somme en crue infligea d'importants dégâts à des populations désemparées et absolument pas préparées à une telle catastrophe. La rumeur bruissa dès lors que le responsable de cette infamie ne pouvait être que Grands Lacs de Seine ayant choisi de déverser ses eaux sur les Picards afin d'éviter une crue dévastatrice dans la capitale. Qu'importe si l'explication était "hydrologiquement" aberrante, elle valut au président de l'institution, Pascal Popelin, d'aller par deux fois clarifier les cartes devant les parlementaires. C'est dire si la création de zones d'expansion des crues, jusqu'à 200 kilomètres en amont de la métropole du Grand Paris, ne va pas sans faire ressurgir d'ancestrales suspicions. "À mon arrivée à la présidence de l'Établissement, en 2012, les deux mondes continuaient de s'ignorer, la défiance était mutuelle", reconnaît Frédéric Molossi : "Sur le bassin amont, on entendait que Seine Grands Lacs inondait les champs pour préserver Paris ; a contrario, nous nous contentions de l'idée de l'agriculteur-pollueur, sur-consommateur de la ressource en eau !"
Martine LE BECimages EPTB Seine Grands Lacs
H2o – juin 2021
Le rapport sur l'hydrologie de la Seine de novembre 2016 remis au Premier ministre précise que la pluviométrie moyenne sur le bassin de la Seine est de 820 millimètres par an. Cela représente un volume moyen annuel de précipitations de 36 milliards de mètres cubes d'eau sur le bassin amont quand le volume de stockage des 4 lacs-réservoirs gérés par l'Établissement public territorial de bassin Seine Grands Lacs s'élève à seulement 805 millions de mètres cubes. Par ailleurs, le rapport estime que, sur la base d'une hauteur d'eau de 1 mètre dans les vallées alluviales du bassin, le volume stocké ne serait encore que de 1,5 milliard de mètres cubes. Il précise également que les zones humides en bon état de fonctionnement ne représentent elles-mêmes que 2,6 % de la surface des corridors fluviaux, soit seulement 214 kilomètres carrés sur les 65 000 que compte le bassin versant dans son entier.
Fort de ces constats, l'EPTB Seine Grands Lacs s'est engagé à porter une action concernant les zones d'expansion des crues (ZEC) sur cette partie amont du bassin. L'action relève directement de la partie du Programme d'actions de prévention des inondations (PAPI) de la Seine et de la Marne franciliennes 2014-2019, portée par l'EPTB et complétée par un contrat de partenariat avec l'Agence de l'eau Seine-Normandie signé en février 2018.
... Une reconquête naturelle et concertée, l'action portée par Seine Grands Lacs intègre deux volets : d'une part, l'identification, la caractérisation et la hérarchisation via un système d'information géographique des ZEC en fonction notamment de leur volume de stockage et de leur potentiel de reconnexion avec le cours d'eau mais également des capacités locales de mise en œuvre des projets ; d'autre part, la co-construction avec les parties prenantes au sein de territoires pilotes de référence de projets de territoire pour la prévention des inondations par la valorisation et la restauration de ZEC.
Les projets engagés par le opérateurs "gémapiens" des territoires pilotes englobent :
Le périmètre d'action de Seine Grands Lacs couvrant un bassin d'une superficie de 44 400 km2, le développement d'un système d'information géographique (SIG) a permis d'identifier des sous-bassins, devenus des territoires pilotes de référence sur lesquels il a été proposé de concentrer l'action territoriale. En photo, un exemple de périmètre de maîtrise foncière à Amilly et Saint-Germain-des-Prés dans la vallée de l'Ouanne (Loiret). |
L'objet est que, dans chacun des projets, les usages soient préservés ou que des propositions adaptées soient avancées. La Chambre d'agriculture de la région Île-de-France et les chambres d'agriculture départementales ont dès lors un rôle prépondérant pour éclairer l'action par l'analyse des pratiques existantes et la réflexion sur la mise en place de filières résilientes qui répondent aux enjeux du territoire. En effet, si les travaux de restauration des ZEC peuvent nécessiter d'adapter les productions agricoles des parcelles identifiées, ils peuvent également donner l'opportunité de mettre en œuvre de nouvelles productions, voire de développer de nouvelles filières mais dont la faisabilité et la viabilité sont évidemment à démontrer.
Dès 2019, cinq territoires pilotes ont adhéré à la démarche, ce qui a conduit à l'installation de cinq comités locaux réunissant l'ensemble des parties prenantes. L'EPTB Seine Grands Lacs propose à chacun de ces territoire un soutien en ingénierie technique et financière mais également pour sensibiliser les acteurs locaux à la problématique des ZEC et du développement de l'outil SIG.
Les autres territoires (organismes ou collectivités) sont intégrés via un groupe de travail se réunissant deux fois l'an, l'objectif restant d'associer l'ensemble des territoires volontaire et de démultipier le partage d'expérience et les actions potentielles.
Les 5 territoires pilotes de référence, partenaires pour la co-construction de projets de territoire. |
Superficie (en km2) |
Surface des ZEC (en % du territoire) |
Volume de stockage potentiel (en M. de m3) |
Nombre de projets recencés | Montant estimé des projets (en M. d'euros) |
|
---|---|---|---|---|---|
EPAGE du Loing | 4 177 | 9,4 | 291 | 70 | 8,5 |
EPAGE Sequana | 2 203 | 5 | 128 | 36 | 4,1 |
Bassin versant de l'École | 447 | 1 | 33 | 47 | 30 |
Bassin versant de la Vanne et de l'Yonne médian | 2 550 | 5,7 | 314 | 8 | 0,7 |
Bassin versant de la Marne amont | 3 112 | 7 | 152 | 48 | 18,1 |
Le travail de co-construction a débuté en se fondant sur l'inventaire de 602 projets existants, dont 210 projets concernant des zones d'expansion des crues, pour un montant total de 60 millions d'euros. 30 projets de territoire sont plus particulièrement suivis dans le cadre de l'action. En 2021, l'EPTB Seine Grands Lacs apporte ainsi son soutien technique et une contribution financière globale de 87 000 euros pour la réalisation de 7 chantiers qui permettront de stocker environ 100 000 mètres cubes d'eau en cas de crue majeure. Il s'agit de : 1. Travaux d'hydraulique douce à Fontaine-la-Gaillarde et Villiers-Louis (Communauté d'agglomération du Grand Sénomais) ; 2. Travaux de restauration de ZEC sur le Limetin (EPAGE du bassin de Loing) ; 3. Ouvrages de délestage de biefs à Saint-Germain-sur-École (Syndicat mixte des bassins versants de la rivière École, du ru de la Mare-aux-Évées et de leurs affluents, SEMEA) ; 4. Travaux de restauration d'une ZEC au lieu-dit Carré-Rouge à Villars Santenoge (EPAGE Sequana) ; 5. Travaux de reconnexion du lit majeur de la Vanne à Foissy-sur-Vanne en vue de la restauration d'une ZEC (Syndicat mixte Vienne et affluents, SMVA) ; 6. Création d'une ZEC sur l'Ornel à Chancenay (Syndicat mixte du bassin de la Marne et de ses affluents, SMBMA) ; 7. Renaturation du lit mineur de la Blaise suite à l'effacement d'ouvrages et reconnexion à la ZEC (SMBMA).
Les ouvrages hydrauliques (moulins, ponts, busages, etc.) ont modifié la structure globale des pentes de nombreux cours d'eau. Cette modification a pour conséquence de ralentir les écoulements, d’homogénéiser les milieux aquatiques et d’aggraver le risque inondation, que ce soit par rupture d’ouvrages, débordement de biefs ou formation d’embâcles. En photo, l'exemple de la rivière École, aménagée de longue date pour l'industrie minotière : son cours est en grande partie formé d’une succession de biefs perchés qui s’écoulent vers le fond de la vallée avec une pente plus faible que la pente naturelle du terrain. (photo SEMEA) |
L'installation des comités locaux en 2019 a favorisé l'implication des acteurs du territoire et des chambres d'agriculture en particulier avec lesquelles ont été signées des conventions de partenariat. En complément, dans le cadre du projet initié par le préfet coordonnateur du bassin Seine-Normandie faisant suite aux inondations de 2016 et de 2018 (13 000 hectares de terres agricoles impactés lors de ce dernier épisode), la Chambre d'agriculture de région Île-de-France a initié un Observatoire des terres agricoles inondées. Les objectifs de cet observatoire sont de : 1. Améliorer les connaissances concernant le fonctionnement des zones d'expansion des crues ainsi que l'exposition des exploitations agricoles en vue de nourrir des démarches de prévention qui seront portées par l'État ou les collectivités locales compétentes ; 2. Acquérir les connaissances sur les terres impactées lors d'un épisode de crue pour argumenter d'éventuelles demandes de cas de force majeure au titre de la politique agricole commune ; 3. Contribuer à maintenir un usage agricole des terres et limiter les surfaces soustraites dans le cadre de création d'ouvrages hydrauliques ; 4. Définir une méthodologie et chiffrer les impacts des inondations sur les activités agricoles afin notamment d'alimenter la réflexion des collectivités sur les protocoles de sur-inondations.
De quoi réconcilier des intérêts trop souvent présentés comme antinomiques. ▄
|
|
Œuvrant sur 18 départements du bassin amont de la Seine l'EPTB Seine Grands Lacs assure trois grandes missions : la protection et la prévention contre les inondations, le maintien d'un débit minimum de la Seine et de ses principaux affluents pendant les saisons sèches et, enfin, l'adaptation aux changements climatiques. EPTB Seine Grands Lacs Contact |