En 2020, Calderwood mettait en avant, à travers une large revue de la littérature sur la relation entre les activités physiques et l’activité professionnelle, la nécessité de continuer à investiguer ce domaine afin de proposer des activités permettant d’améliorer la performance et de réduire les risques psychosociaux au travail : et si la plongée était la solution ?
Florian LECAËRdoctorant, enseignant – Université d’Aix-Marseille
Épave du Liban, Les Pharillons – Méditerranée
photo de Thierry FIQUEMONT
H2o – avril 2022
Ces dernières décennies ont vu un regain d'intérêt pour la nature, les causes et les effets du stress dans les milieux professionnels et non-professionnels. On s'intéresse de plus en plus à la nature des stratégies d'ajustement utilisées par les individus pour faire face au stress (Dewe & Guest, 1990 ; O’Driscoll & Cooper, 1994). Nulle part cette attention n'est plus importante que dans le cadre du travail, qui pour des millions de travailleurs est le centre d'une grande partie de la vie et de plus en plus la source de nombreux problèmes de santé mentale (Creed, 1993). De manière représentative, le coût social du stress au travail a été estimé entre 2 et 3 milliards d’euros en 2007 (Lassagne et al., 2012), démontrant l’ampleur de cette problématique qui nécessite toute l’attention du domaine scientifique, des organisations privées et publiques.
Devant la multiplication des études portant sur le rôle des loisirs dans la relation stress-santé, et l’intérêt grandissant pour les stratégies d’ajustement dans un contexte professionnel, les auteurs du domaine des "Leisures sciences" ont cherché à démontrer l’importance de la prise en compte des loisirs dans le domaine des Sciences de gestion. Ainsi, comme le met en avant Cassidy (1996, p.78 ; cité par Trenberth & Dewe, 2002), les facteurs externes au domaine professionnel viennent impacter l’individu, ce qui influence son travail. En d’autres termes, on ne peut pas comprendre les performances au travail en se basant uniquement sur le comportement au travail : il est également nécessaire d’examiner les facteurs qui l’entourent. Ce qui se passe durant les loisirs joue un rôle dans cette compréhension. Cette affirmation rejoint l’idée de Deci & Ryan (1987) que les événements et contextes favorables à l’autonomie favorisent l’exécution autodéterminée et autonome des tâches en général, où toute activité est alors régulée de manière plus souple, avec moins de tension et un ton émotionnel plus positif.
Aujourd’hui, avec la prise en considération croissante du bien-être au travail et des risques psychosociaux, dans le but de performer toujours plus, les entreprises se sont ouvertes à des activités de loisir qu’on aurait eu du mal à imaginer il y a de cela quelques décennies. La méditation de pleine conscience trouve un appui dans la littérature scientifique pour légitimer des interventions en entreprise en vue d’améliorer la performance et le bien-être au travail ainsi que les relations entre collègues (Good et al., 2016). Des entreprises comme Google, Aetna, Mayo Clinic ou encore l’armée américaine utilisent ces interventions de méditation de pleine conscience afin de favoriser le bon fonctionnement de ses travailleurs (Jha et al., 2015 ; Tan, 2012; West et al., 2014 ; Wolever et al., 2012). Cette prise en considération fait suite au courant "Mindfulness-based stress reduction", une pratique alliant méditation et yoga désormais reconnue comme un outil de la psychologie clinique permettant de réguler les émotions, de réduire les risques psychosociaux tels que le stress, la dépression, l’anxiété et d’améliorer la compassion envers soi-même (Marchand & William, 2012 ; Chiesa & Serretti, 2009 ; Beauregard, Courtemanche, Paquette, 2009 ; Sears & Kraus, 2006 ; Barabara and al., 2008).
Enfin, la méditation sort de son aspect purement mystique du fait de résultats démontrant l’impact de cette activité sur le cortex cérébral (Beauregard M., Courtemanche J., Paquette V., 2009 ; Millière, R. and al. 2018). Cette approche scientifique plus conventionnelle est de nature à convaincre les chercheurs occidentaux. Du fait de la prise en compte de ces pratiques au sein de la littérature scientifique et de leur mise en œuvre par les entreprises, il semble tout à fait pertinent de continuer à développer cet axe de recherche encore trop peu investit par les Sciences de gestion.
Pour tenir compte du double intérêt autour des activités physiques, et plus récemment, autour de la pratique de la méditation, nous avons cherché à investiguer une activité de loisir alliant ces deux caractéristiques : la plongée.
En effet, ce loisir demande une certaine activité physique, un contrôle de sa respiration ainsi qu’une pleine conscience de soi. En apnée, certains pratiquants utilisent des exercices de respiration dans le but d’aller toujours plus loin. Ainsi, Guillaume Néry, champion d’apnée français rapportait : "Lors des trois ou quatre minutes qui précèdent la plongée, je mets en place un rythme particulier de respiration. J’inspire pendant environ 5 secondes, je suspends mon souffle pendant un temps équivalent, puis j’expire de façon contrôlée pendant 15 à 20 secondes. Une fois que mes poumons sont vides, je fais une pause de quelques secondes. C’est donc une respiration très lente, un cycle complet prenant 30 à 40 secondes, soit entre un cycle et demi et deux cycles par minute […] À l’origine, j’ai développé cette technique de respiration lente de manière très empirique, instinctive, mais je me suis rendu compte des années plus tard qu’elle était proche de ce que proposait un exercice de pranayama, la branche du yoga focalisée sur la respiration."
La plongée en apnée par sa nécessité à minimiser l’exposition au dioxyde de carbone (CO2) produit par l’organisme, incite son pratiquant à contrôler ses mouvements, sa respiration, ainsi que ses émotions et pensées. Bien que le terrain de recherche de l’activité de loisir de la plongée soit que très récent au sein de la littérature, quelques études mettent en avant ses possibilités :
Concernant l’apnée, bien que le manque d’étude quantitatif ne permette pas de mesurer et vérifier ces propos, de nombreux pratiquants s’accordent sur les bienfaits de cette pratique :
De plus, depuis février 2021, la plongée en bouteille est inscrite comme étant une activité sport-santé. Des communes en viennent même à subventionner la plongée en bouteille comme étant "un médicament", mettant en avant le potentiel thérapeutique de cette activité de loisir.
Un réel engouement autour de la pratique d’activités de loisir physique est en train d’émerger. En effet, au-delà de la reconnaissance de la plongée pour ces bienfaits sur la santé, le gouvernement souhaite inciter les entreprises à proposer à leurs employés un lieu dédié aux activités sportives. Pour cela, le gouvernement stipule, à travers la circulaire du 12 décembre 2019, que les entreprises inscrites dans cette démarche peuvent désormais bénéficier d’exonération de cotisations sociales. Parallèlement, la Fédération française du sport d’entreprise cherche aujourd’hui à s’investir davantage dans la prise en considération de l’intérêt des activités sportives pour les travailleurs. En 2018, elle réunissait déjà plus de 5 500 participants aux jeux mondiaux du Sport d’Entreprise.
La prise en considération du bien-être des travailleurs et des risques psychosociaux, ainsi que les récentes avancées scientifiques autour de la pratique de la plongée, nous ont alors incité à continuer à investiguer ce terrain de recherche prometteur.
Quel est le projet ? Il s’agit de produire de la connaissance à travers une thèse de doctorat et des publications académiques et de vulgarisation.
Qui sommes-nous ? Nous sommes un binôme directeur de thèse-doctorant de l’Université d’Aix-Marseille. Travaillant en Sciences de gestion dans le laboratoire CERGAM, nous sommes spécialisés en Comportement humain dans les organisations (Organizational Behavior) tout particulièrement sur des thématiques de bien-être au travail. Olivier Roques (directeur de thèse) est maître de conférences habilité à diriger les recherches. Il travaille sur ces thématiques depuis près de 30 ans a fait soutenir 9 thèses dans le domaine et publié de nombreuses communications scientifiques et articles de recherche. Par ailleurs il est divemaster SDI ayant travaillé aux Philippines (Coron) et en Indonésie (Komodo). Florian Lecaër est doctorant, enseignant à l’Université d’Aix-Marseille et a été enthousiasmé par ses premières expériences en apnée et en scaphandre autonome.
Avec qui travaillons-nous ? Nous sommes intégrés dans le laboratoire de gestion de l’Université d’Aix-Marseille et dans l’axe "travail" de son institut de créativité et d’innovation. Nous avons le soutien de différents acteurs (Alexey Molchanov, Andy Tutrin) et d’institutions telles que la FFESSM et AIDA, et nous associons des personnalités comme le Dr Coulange lors de nos réunions scientifiques.
Que voulons-nous faire ? Nous nous inscrivons dans le cadre des récentes avancées scientifiques concernant la pratique de la plongée et de ses bienfaits sur la santé mentale et nous avons décidé d’aller plus loin : nous avons pour objectif d’évaluer les effets de la plongée sur le travailleur tant du point de vue de sa santé mentale, que de son engagement au travail et de leur résultante sur des variables organisationnelles. Nous espérons ainsi pouvoir mettre en avant les bienfaits de la pratique de la plongée sur les travailleurs et promouvoir cette pratique auprès des organisations désireuses de lutter contre les risques psychosociaux au travail, tout en améliorant la performance de ses collaborateurs.
Mais pour cela, nous avons besoin de vous ! ▄
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Participer à l'enquête – Si vous pratiquez une des activités mises en avant par la FFESSM (plongée en bouteille, apnée, randonnée subaquatique, pêche sous-marine), que vous êtes un travailleur en activité (salarié, autoentrepreneur, fonctionnaire…) et que vous souhaitez nous aider à comprendre l’intérêt de la plongée sur notre environnement professionnel, nous vous invitons à remplir ce questionnaire en utilisant le QR code ou le lien ci-contre. Apprendre à mieux respirer, c’est apprendre à mieux vivre – Guillaume Jacquemont, Cerveau & Psycho, n° 103, 19 septembre 2018 Les bienfaits de la plongée en apnée sur la santé – Damien Vitiello et Luc Collard, Ouest-France, l'Édition du soir, Sciences, 6 mai 2021 Watch free diving star Alexey Molchanov capture a world record – Keith Zubrow, CBS News, 26 septembre 2021 Revue SUBAQUA, Fédération française des études et sports sous-marins (FFESSM), n° 298, Dossier 26, p. 43 Les bienfaits de la plongée – Frédéric Di Meglio, FFESSM, Sport Santé, 4 janvier 2022 Stress, burn-out : quand la plongée sous-marine vient au secours de la santé mentale – Émilie Orgemen, Le Parisien, Société Santé, 8 juin 2021 Accorder aux employeurs le droit de mettre à disposition de leurs salariés des espaces ou équipements visant à favoriser la pratique sportive en entreprise – Ministère des Solidarités et de la Santé, Ministère de l'Action et des Comptes publics, 12 décembre 2019 |